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"Je fais des crises d'angoisse"

« Je fais souvent des crises d’angoisse ». Toute la clinique est traversée par cette question car l’angoisse est sans doute l’affect majeur dont tous les autres ne sont qu’une monnaie d’échange. Et pour cause ! L’angoisse renvoie au réel de chacun, à ce que l’on ne peut mettre en mots ni en images, à ce qui résiste à toute élucidation, des questions existentielles à l’épreuve de la perte. L’angoisse est le seul affect qui ne trompe pas, insiste Lacan. Mes patients se confrontent d'un coup à une question qui semble irrémédiable.


L’angoisse s’éprouve. La gorge est serrée, l’épigastre opprimée, le ventre noué, les jambes paralysées. Point de butée du sujet. François Leguil[1] insiste sur ce paradoxe : l’angoisse est ce à quoi la parole se confronte et en même temps, le fait même que la parole soit impossible.


L’angoisse a à voir avec le manque. Lacan eut cette fulgurance géniale : l’angoisse n’est pas la conséquence d’un manque -comme on pourrait a priori le penser- mais d’un manque de manque. Retournement de perspective ! « La possibilité de l’absence, c’est ça la sécurité de la présence. Ce qu’il y a de plus angoissant pour l’enfant, c’est justement quand le rapport sur lequel il s’institue, du manque qui le fait désir, est perturbé et il est le plus perturbé quand il n’y a pas de possibilité de manque, quand la mère est tout le temps sur son dos ( …) Ce qui provoque l’angoisse, c’est tout ce qui nous annonce qu’on va rentrer dans le giron. »[2] Cela me fait penser aussi à cette métaphore terrible de la mère qui exerce son emprise sur l’enfant : « Le désir de la mère n’est pas quelque chose qu’on peut supporter comme ça, que cela vous soit indifférent. Ça entraîne toujours des dégâts. Un grand crocodile dans la bouche duquel vous êtes — c’est ça, la mère. On ne sait pas ce qui peut lui prendre tout d’un coup, de refermer son clapet. »[3] Il faut un temps pour encaisser la charge ! L’angoisse a à voir avec l’histoire du tout-petit. C’est très dur pour une mère d’entendre cette phrase. Mais l’enjeu est bien là et s’adresse aux deux parents : quel espace laisse-t-on à l’enfant ? A trop veiller sur lui, dans une forme de présentéisme exclusif, le risque est de l’étouffer. Sans un espace de solitude, comment l’enfant peut-il se séparer de l’autre et définir sa propre voie ? Qu’est-ce qui chez les parents empêche cette séparation bienveillante ? Qu’est-ce qui est touché aussi dans leur propre histoire ?


Le manque est le moteur du désir. A trop le boucher, on empêche l’envol de ce qui définit le sujet. Le manque est en quelque sorte cet espace inconfortable mais nécessaire duquel un désir va sourdre. Laissons respirer cet espace et surtout ne le bouchons pas de tous ces objets-gadgets de notre société consumériste qui cachent notre vrai désir. Ne confondons pas envie et désir. Ne cédons pas sur ce dernier, disait Lacan. Prenons le temps de le discerner.


Philippe Poins, psychologue clinicien à Rennes – Février 2021

[1] https://www.youtube.com/watch?v=c5Zf_jL3Als [2] Lacan J., Le Séminaire, livre X. L’Angoisse. Seuil, p 67 [3] Lacan J., Le Séminaire. Livre XVII. L’envers de la psychanalyse. Seuil, p. 129

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