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La violence, une fatalité ?
Dernière mise à jour : 2 févr. 2021
La violence, une fatalité ?
La violence comme une pulsion de mort qui fait retour, inlassablement. La violence comme une pulsion de mort qui fait retour, inlassablement. Dans mon cabinet de psychologue clinicien à Rennes ou dans les ateliers de communication bienveillante que j’anime, cette question resurgit invariablement.
François Ansermet que j’ai entendu[1] cite Freud dans le Malaise de la civilisation. Le tableau fait froid dans le dos. Le prochain est objet de tentation qui est déclinée ainsi : tentation « de satisfaire son agressivité à ses dépens, d’exploiter sa force de travail sans dédommagement, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de le dépouiller de ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le torturer et de le tuer ». Quelle résonnance avec notre actualité ! Dans un autre temps, Hobbes fit mouche avec sa formule « Homo homini lupus est », comme hypothèse de lecture des rapports de force qui traversaient l’espace du politique, à quoi Rousseau envisageait une hypothèse moins sombre qui expliquerait les inégalités de son époque : « l’homme est bon par nature mais c’est la société qui le corrompt ». D’où ce questionnement sur cette agressivité en chacun ou encore sur cette ambivalence de l’homme, partagé entre bien et mal, entre deux forces antagonistes, encore appelées eros et thanatos. Qui n’a jamais été emporté par de telles motions intérieures porteuses de destruction ? Il faut bien être lucide sur nos pauvres limites ! Commençons par ce travail d’introspection avant de juger les comportements d’autrui. La haine précèderait-elle-même l’amour ? Freud pose ce postulat en 1915 dans Pulsions et destins des pulsions : « la haine en tant que relation à l’objet, est plus ancienne que l’amour, elle provient du refus primordial que le moi narcissique oppose au monde extérieur ».
La violence est-elle pour autant une fatalité, demande Ansermet ? Partant de l’étymologie du mot qui viendrait d’un obscur vis, à apparenter peut-être à vir – l’homme, le mot violentia contient en germe la vie qui s’y présente, cette force en action qui rappelle le grec dunamis, à savoir la puissance ou la vertu, au sens fort des Latins – l’énergie morale, le courage - qui n’est pas forcément exercée contre quelqu’un. Il s’agit donc d’entendre dans toute violence qui se déploie cet appel à la vie, cet élan qui peut certes détruire l’autre, mais qui dit la tentative malheureuse d’une reconstitution subjective. La violence exprimerait avant tout une identité mise en danger. Dans son rapport au semblable, l’homme combattrait l’autre pour se constituer lui-même. Puisqu’il est son lieu d’identification, l’autre est aussi le repère contre lequel il faut lutter pour s’en distinguer. En lieu et place d’Eros, c’est Eris qui surgit, dans ce que l’on a aussi appelé la rivalité mimétique.
En d’autres lieux et d’autres temps, Marshall Rosenberg le fondateur de la communication non violente disait que la violence est l’expression tragique de besoins insatisfaits ou encore une stratégie maladroite -le mot est faible parfois- pour laisser jaillir ce qui est important chez l’homme et qui n’est pas forcément reconnu de l’autre. La violence dirait cet échec à dire les besoins fondamentaux de chacun.
Pour finir, Ansermet insiste sur notre inachèvement premier, sur notre détresse de nouveau né dont la survie dépend de l’extérieur. Ce rapport de dépendance peut constituer une chance comme un insupportable. La violence serait au final la manifestation paradoxale de notre impuissance. Comme un déni redoutable.
Philippe Poins, psychologue clinicien à Rennes – Janvier 2021
[1] Conférence de François Ansermet à l’Université de Genève, en 2017. https://www.youtube-nocookie.com/embed/NJ_U5rS9sus
